(Tardi)
"Tout
a paru sur le point de s'achever : l'opacité se défaisant peu à peu dans la
tranchée, une sorte de calme y revenait, même si d'autres détonations énormes,
sonnaient encore tout autour d'elles mais à distance, comme des échos. Les
épargnés se sont relevés plus ou moins constellés de fragments de chair
militaire, lambeaux terreux que déjà leur arrachaient et se disputaient les
rats, parmi les débris de corps çà et là : une tête sans mâchoire
inférieure, une main revêtue de son alliance, un pied seul dans sa botte,…[…].
Le silence
semblait donc vouloir se rétablir quand un éclat d'obus retardataire a surgi,
venu d'on ne sait où et on se demande comment, bref comme un post-scriptum.
C'était un éclat de fonte en forme de hache polie néolithe, brûlant, fumant, de la
taille d'une main, non moins affûté qu'un gros éclat de verre. Comme s'il
s'agissait de régler une affaire personnelle sans un regard pour les autres, il
a directement fendu l'air vers Anthime en train de se redresser et, sans
discuter, lui a sectionné le bras droit tout net, juste au-dessous de
l'épaule."
« 14 »
Jean Echenoz, Ed.de Minuit 2012
Novembre 1918
- Ceux qui pensaient que cette guerre
finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement.
Aussi, en octobre, Albert reçut-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs
annonçant un armistice. Il ne leur prêta pas plus de crédit qu'à la propagande
du début qui soutenait, par exemple, que les balles boches étaient tellement
molles qu'elles s'écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes,
faisant hurler de rire les régiments français. En quatre ans, Albert en avait
vu un paquet, des types morts de rire en recevant une balle allemande.
Il
s'en rendait bien compte, son refus de croire à l'approche d'un armistice
tenait surtout de la magie: plus on espère la paix, moins on donne de crédit
aux nouvelles qui l'annoncent, manière de conjurer le mauvais sort.
Sauf
que, jour après jour, ces informations arrivèrent par vagues de plus en plus
serrées et que, de partout, on se mit à répéter que la guerre allait vraiment
prendre fin. […] Quand l'armistice devint enfin une perspective raisonnable,
l'espoir d'en sortir vivant commença à tarauder les plus pessimistes. En
conséquence de quoi, question offensive, plus personne ne fut très chaud.
« Au revoir
là-haut » Pierre Lemaître
Paru aux éditions Albin Michel
le 21 août 2013
Prix Goncourt 2013
Rappelons quelques chiffres
sur cette guerre,
qui a fait 2 millions de morts en Allemagne
et presque autant en Russie ;
pour les 72 pays belligérants,
10 millions de militaires ont été tués
et 9 millions de civils ;
pour la France,
le bilan humain (dressé par un rapport officiel
en 1921) est effroyable :
1,4 million de morts (presque 1000 par jour) ;
252 900 disparus ;
18 222 morts en captivité ; 145 000 morts de maladie.
(dont Guillaume Apollinaire...)
Près de 36 % de ceux qui avaient
entre 19 et 22 ans en 1914 sont morts.
Dans la scène finale
Philippe Noiret rappelle
que le défilé de la Victoire
en 1918, a duré 3 heures,
et que dans les mêmes conditions
de vitesse de marche
et de formations,
le défilé des morts
aurait pris 11 jours et 11 nuits...
"Pardonnez-moi cette précision accablante..."
Quelques films :